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Lettres à Tchang

20 juin 2010

Rimouski, le 20 octobre 1963



photo_enfant

 



 

Bonjour Tchang, 

 

Comment vas-tu?  Moi, je vais bien et j’étais très heureux quand mon père m’a donné 25 sous pour t’acheter et te permettre de manger du riz pendant un an. Je t’envoie une photo de moi. Si c’est possible, j’aimerais que tu m’en envoies une aussi parce que je vois mal ton visage sur le petit portrait rose que j’ai collé dans la couverture de mon cahier de géographie. Aimes-tu le nom que je t’ai trouvé?  Je t’ai appelé comme ça à cause de Tchang, l’ami de Tintin dans le Lotus bleu. Moi aussi, j’aimerais avoir un ami chinois. C’est pour ça que je t’écris. J’aimerais beaucoup que tu deviennes mon correspondant.

 

Si tu veux, je vais te parler un peu de moi. Je m’appelle Patrice, je suis né le 15 mars 1953, et je vis dans une ville de 17 000 âmes appelée Rimouski. À part un tout petit nombre de protestants qui travaillent pour la scierie Price et qui vont à la messe dans une petite église en bois du quartier juif appelé Nazareth, tout le monde ici est catholique. Ma paroisse, qui s’appelle St-Germain à cause de la rue des magasins, possède la plus grosse église de la région et un tas de couvents de toutes les formes et de toutes les couleurs. 

 

Et toi? Soeur Saint-Simon nous a dit l’autre jour qu’il y a plus de monde dans ta ville, à Shanghaï, qu’il y en a à Rimouski, Amqui, Bic, Mont-Joli, St-Marcellin, Ste-Blandine, Forestville et Matane mis ensemble. Si c’est vrai, ça doit faire du monde sur le trottoir!  Ici, c’est juste assez petit pour qu’on rencontre toujours les mêmes personnes, et juste assez grand pour qu’on arrive en retard à l'école si on commence à tous les saluer. Mon père dit que, à cause de ça, il y en a qui trouvent que Rimouski est une ville de snobs. Et il dit aussi que c’est pas vrai du tout. D'après lui, les Rimouskois aiment tellement les gens qu’au lieu de s’enfermer dans des usines qui payent des gros salaires comme sur la Côte-Nord, ils préfèrent travailler dans des magasins qui payent moins cher, mais où ils peuvent parler autant qu'ils veulent et gagner leur vie en même temps. 

 

En passant, sais-tu comment on appelle ça ici, une ville avec plein de magasins? On appelle ça une ville de services. J’ai appris ça juste cet été. Depuis le temps que j’entendais les grands dire que Matane et Amqui avaient pas la chance d’en être une...  Une fois, à force de voir mon père et ma mère écouter les avis de décès et courir les salons funéraires, je m’étais dit qu’on était peut-être une ville de services parce qu'on avait plus de funérailles qu’ailleurs, et qu’on l'était sans doute devenus en 1950, la fois qu’un gros feu avait détruit le quart de nos maisons et une partie de l'hôpital. Pourquoi pas? que je m’étais dit. Peut-être qu'il y a eu des tas de morts et que les grands n’en parlent jamais devant nous pour ne pas nous faire peur. En tout cas, morts ou pas, ça avait dû chauffer en titi cette fois-là, parce que mon cousin Gilles qui avait deux jours au moment du feu était sorti de la pouponnière pas mal plus foncé que son frère et sa soeur plus vieux.

 

Bon, assez écrit pour aujourd’hui. Et toi, Tchang?  Est-ce que Shanghaï est une ville de services?  Et est-ce que les Japonais qui vous ont envahis dans le Lotus bleu sont toujours là?  Écris-moi vite, s’il te plaît. J’ai bien hâte de lire ta lettre. 

 

À bientôt,

 

                                                               Ton nouvel ami Patrice

 

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Lettres à Tchang
  • Rimouski, au Québec, dans les années 60. Patrice, un élève du primaire, correspond avec Tchang, un Chinois de son âge qu'il a acheté 25 ¢ avec la Sainte-Enfance, afin de lui parler de sa vie et de connaître la sienne.
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